(Une déclaration de la CFDT en réunion CHSCT du 2 octobre)
L'évaluation cause trop souvent des incompréhensions, des frustrations, voire des conflits. Pour vous aider dans cet exercice difficile, nous vous proposons un "petit" rappel du cadre légal et des limites de l'évaluation...
(Ce rappel a aussi été lu comme déclaration CFDT en CHSCT Dév le 2 octobre)
Par le classement des salariés selon des critères de comportement ou de performance, l’évaluation devient souvent un simple outil d’optimisation économique, visant plus le profit financier que l’efficacité industrielle.
Si l’employeur est en droit d’évaluer les qualités professionnelles des salariés, il doit le faire de façon pertinente et objective.
La CFDT SAP a engagé dès juillet 2014 une procédure contre l’évaluation des salariés fondée sur les « valeurs SAP ». Cette procédure est encore en cours, mais la CFDT est convaincue du succès. La direction de SAP semble également convaincue, puisqu’elle retire aujourd’hui cette notion émoticône smile.
Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre avait déjà en 2008, dans un autre dossier, déclaré illicite un système de notation des salariés portant sur leur comportement au regard de valeurs d’entreprise (satisfaction client, innovation et responsabilité…), reposant sur des critères difficilement quantifiables et sans lien avec le travail réel (TGI Nanterre, 5 septembre 2008, n°08/5737).
Sur l’évaluation en général, et son application chez SAP en particulier, quelques rappels paraissent utiles, voire nécessaires en cette période d’interim review et à l’approche de la fin d’année…
- Cadre légal et jurisprudentiel
Un premier principe est celui de l’égalité de traitement des salariés placés dans une situation identique. Des traitements différents doivent être justifiés par l’employeur de façon objective et pertinente (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 24 nov. 2009, n°08-41097 ; Cass. soc., 8 juin 2011, n°10-30162).
Le critère de pertinence permet l’évaluation appropriée de groupes différents - métiers et fonctions. Chaque qualité évaluée doit correspondre à des actions ou situations de travail précises et concrètes, car l’évaluation doit avoir un lien direct avec la fonction.
Ainsi, par exemple, dégrader l’évaluation d’un développeur au motif de qualités relationnelles estimées insuffisantes avec le client, alors que le rôle du développeur est d’abord de créer des logiciels performants et innovants, serait juridiquement très fragile…
Plus largement, la discrimination est interdite (Code du Travail, article L1132-1), elle ne peut donc nourrir les décisions de l’employeur. L’évaluation ne saurait ainsi s’appuyer sur des critères discriminatoires, et sa mise en œuvre ne doit notamment pas être différente pour les salariés dispensés d’activité ou dont le contrat de travail est suspendu (longue maladie, congés parentaux, mandats syndicaux…).
Si un salarié est, à la différence de ses collègues, privé d’entretien d’évaluation, il y a présomption de différence de traitement ou de discrimination (Cass. soc., 4 mai 2011, n°09-70702 ; Cass. soc., 31 mars 2009, n°07-45522).
Cette situation, illicite, est préjudiciable en termes de promotion professionnelle (Cass. soc., 19 janv. 2010, n° 08-45000), augmentation salariale (Cass. soc., 2 déc. 2009, n° 08-40360), évolution de carrière (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 08-42114)… et ouvre donc la possibilité d’une indemnisation par voie juridique.
A l’inverse, lorsque le processus d’évaluation est conforme à ces principes, le salarié ne peut refuser d’être évalué (Cass. soc., 10 juillet 2002, n°00-42368). Un refus serait une faute, et le salarié est même tenu de répondre de bonne foi aux questions de l’employeur visant à apprécier ses qualités professionnelles. En revanche, le salarié peut refuser de signer le compte-rendu d’évaluation et manifester son désaccord, oralement ou par écrit, sur l’appréciation, les objectifs, et plus généralement sur sa situation.
- L’évaluateur
L’évaluateur - en pratique le manager – doit avoir un réel pouvoir, en termes de moyens, de compétences et d’autorité. Il doit notamment pouvoir décider de la note attribuée. Autrement dit, un système d’évaluation encadré par des quotas (forced-ranking, avec des pourcentages de low-performers, high-performers...) est illicite (Cass. soc., 27 mars 2013, n°11-26539).
Que celui qui croit sincèrement que l’évaluation chez SAP se fait sans quota lève le doigt… et que celui qui a la preuve matérielle de ces quotas vienne voir la CFDT, on saura quoi en faire.
- Les feed-backs
Si la collecte de témoignages n’est pas illégale en soi, elle peut rapidement le devenir.
La CFDT rappelle tout d’abord que la direction de SAP France a admis que, pour être recevables, les feed-backs doivent être faits via le système, et non par email, téléphone ou autour d’un café…
Ces retours peuvent aussi s’avérer illégaux par manque d’objectivité ou de pertinence, ou par leur importance disproportionnée dans l’évaluation globale.
- Périmètre de l’évaluation
Le Code du Travail (article L1222-2) et la jurisprudence (Cass.soc., 10 juillet 2002, n°00-42368) limitent strictement l’évaluation au « travail » et aux « aptitudes professionnelles » du salarié… excluant notamment ses compétences théoriques et son attitude lorsqu’elles ne participent pas effectivement au travail demandé.
Les aspects comportementaux peuvent donc être pris en compte, mais de façon très limitée, lorsqu’ils sont exigés par la fonction (TGI Nanterre, 2e ch., 20 nov. 2009, n°09/09717) et exclusivement professionnels (Cour d’Appel de Toulouse, 21 septembre 2011, n°11/00604).
Les éléments totalement extérieurs au salarié, tels que résultats économiques de l’entreprise, stratégie commerciale de la direction, performance des autres salariés et du manager… doivent être exclus (TGI Grenoble, 18 février 2013, n°10/01590).
- Les indicateurs
Les indicateurs (ou « métriques », ou « KPI »…) doivent donc être pertinents (pas de « hors sujet ») et non discriminatoires.
Ils doivent aussi être mesurables, et donc objectifs et précis.
Ils doivent enfin être transparents, et donc intelligibles par les salariés, pour assurer la loyauté du processus d’évaluation…
Ils doivent enfin être transparents, et donc intelligibles par les salariés, pour assurer la loyauté du processus d’évaluation…
Ces principes ne seraient évidemment pas respectés par l’évaluation d’un salarié français noté pour des objectifs fondés sur des critères flous en anglais (« Mentoring », « Change Agility », « Business Acumen »…).
D’ailleurs, le Code du Travail (article L1321-6) stipule que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail » doit être rédigé en français. Cette obligation ne s’applique pas aux documents destinés à des salariés étrangers, ni aux documents reçus de l’étranger. Pour autant, l’assignation d’objectifs individuels rédigés en anglais à un salarié français par un manager français est très contestable, même si c’est une pratique courante chez SAP sous prétexte de déclinaison individuelle d’objectifs globaux.
- En résumé…
L’employeur a le droit d’évaluer ses salariés, mais pas n’importe comment.
La CFDT se félicite du retrait des valeurs SAP du processus d’évaluation et y voit le résultat de la procédure qu’elle a engagée contre la direction.
On ne peut que regretter l’introduction d’éléments (les « compétences » associées aux fiches de poste), certes moins absurdes, mais présentant encore trop de risques de subjectivité et d’arbitraire.
On ne peut que regretter l’introduction d’éléments (les « compétences » associées aux fiches de poste), certes moins absurdes, mais présentant encore trop de risques de subjectivité et d’arbitraire.
La CFDT appelle chaque salarié - contributeur individuel comme manager - au strict respect du cadre légal rappelé ici, et soutiendra tout salarié confronté à des difficultés.
(Référence: “La Lettre au CE” n°55, septembre 2015, réseau Les Conseils du CE)